À 27 ans, j’ai complètement arrêté l’alcool. Quatre mois plus tard, je ne regrette rien

Marie-Capucine Reyt (chef d’entreprise) a 27 ans. En 2015, elle a créé son entreprise. Elle a aussi complètement arrêté de boire de l’alcool. Fini les soirées ivres, elle a troqué le vin et la bière contre des Perrier-menthe. Et elle le vit très bien. Pourquoi ?

C’était agréable de voir quelqu’un se poser des questions et s’interroger sur ce sujet, parce que je pense que notre génération a un problème avec l’alcool.Nous ne sommes pas tous alcooliques, mais nous ne sommes pas non plus complètement lucides sur nos consommations.
Ils enchaînent les verres. Et toi, tu suis
J’ai arrêté complètement de boire de l’alcool il y a maintenant quatre mois. Cette décision ne vient pas de nulle part, je l’ai prise après avoir fait plusieurs constats. Cette année, j’ai créé mon entreprise. Rapidement, je me suis retrouvée à devoir construire un réseau, ce qui voulait dire sortir environ cinq soirs par semaine, à chaque fois avec des gens différents.
Parmi ces interlocuteurs, des gens qui sortent beaucoup moins que toi et qui ont envie de profiter de leur soirée. Du coup, ils enchaînent les verres… Et toi, tu suis, tu te cales sur leur rythme. Ce qui est censé être exceptionnel dans la vie d’une personne normale devient ton quotidien.

Un soir, j’ai eu l’alcool mauvais

Un soir, j’ai eu un déclic. J’ai passé la soirée sur une péniche parisienne avec des amis, j’avais commencé l’apéro un peu tôt et j’ai fini la soirée avec l’alcool presque mauvais. J’ai eu un comportement désagréable avec mes amis…Ça a été comme un électrochoc : cette réaction ne me ressemblait pas, moi qui suis quelqu’un de plutôt joyeuse et extravertie. J’ai décidé de me lancer un pari et d’arrêter de boire, pendant un mois.Au départ, pas un seul de mes amis ne croyait que je pourrais le faire. Je me souviens bien du premier soir de mon défi, le frigo d’un ami était blindé de bouteilles de bières et de champagne. Tout le monde pensait que je craquerais. Et puis quand ils ont vu que c’était une décision sérieuse, ils ont trouvé que ça devenait chiant. Pourquoi ? Je pense que quelque part, mon comportement les incitait à entamer une introspection qui était inenvisageable pour eux à ce moment-là.

Dans la peau de celle qui ne boit pas
D’autant plus que moi, quand je sors, je suis plutôt du genre à mettre l’ambiance, à créer du lien, à faire la fête. Quand on arrête de boire, on est beaucoup plus sur la réserve, ou en tout cas, dans une humeur vraiment différente de celle des autres. Au fil des soirées, on se retrouve dans la peau d’un observateur : on sort, je bois du Perrier-menthe, on trinque, on passe un bon moment, on est tous dans le même « mood ».Et d’un seul coup, je me retrouve à regarder comment boivent les autres… De l’observation, tu passes finalement à l’analyse de ton propre comportement vis-à-vis de l’alcool.Et puis quand je vois mes potes bourrés, je me rends compte à quel point ça peut être lourd et usant pour ceux qui ne le sont pas. Je me retrouve témoin de comportements qui peuvent m’agacer… qui m’énervent d’autant plus que si ça se trouve, ils ont été les miens par le passé.Arrêter de boire est probablement une des meilleures choses qui me soit arrivées, même si au début, ça a été dur. Quand on aime sortir, on ne rêve pas forcément de verre d’eau gazeuse. D’ailleurs, c’est plutôt drôle, j’ai passé ma vie à dire aux gens « arrête de me proposer de l’eau gazeuse, je n’aime pas ça. » Sauf que quand tu arrêtes de boire, les bulles ça amène de l’exotisme.Après une bonne journée de travail, plusieurs fois j’ai eu envie de boire un verre de rouge, moi qui suis particulièrement amatrice de vin… mais j’ai tenu le coup. Maintenant, je suis complètement habituée à ne plus boire. Je me suis remise au sport, j’en fais quasiment quatre heures par semaine, et je fais plus attention à ce que je mange.

Des blagues chiantes à la fierté
Je pense que mes amis proches sont fiers de moi. Au tout début, ils ne comprenaient par ma décision, ils étaient là à me faire des blagues sur le mode de « qui sera le premier à mettre de l’alcool dans son verre ». Je n’ai pas trouvé ça drôle une seule seconde : à quel moment c’est drôle d’être obligée de vérifier ce qu’il y a dans ton verre au moment où tu veux le boire ?Même si je sais qu’ils ne seraient jamais passés l’acte, c’est super chiant de ne pas se sentir soutenue par des gens qu’on aime vraiment et qui pensent que tu n’es pas sérieuse. En fait quand tu te lances un défi aussi difficile, au début c’est compliqué de plaisanter dessus. Même si c’est bon enfant. Au fil du temps, ils ont vraiment changé d’attitude parce que quand tu aimes quelqu’un, tu as juste envie que cette personne aille bien. Ils se sont rendu compte que je m’étais fixé un but, que j’avais réussi à l’atteindre et que j’étais épanouie. C’est tout ce qui compte. Ce qui s’est transformé en un challenge d’un mois sans alcool s’est prolongé…

J’ai peur de recommencer à boire
Depuis que j’ai passé le cap des trois mois, je me demande quand je vais boire à nouveau. Pour le moment, la réponse me fait peur dans le sens où je me suis rendu compte que si j’avais continué mon corps aurait fini par me faire comprendre que ça devenait dangereux.Je suis quelqu’un qui sort beaucoup, qui a besoin de boire beaucoup au sens littéral du terme (je dors avec deux bouteilles d’eau à côté de mon lit, c’est dire). Je me dis que si je recommençais, je pourrais tout à fait retomber dans quelque chose de malsain pour ma santé.J’ai presque oublié ce que ça faisait de boire, j’ai l’impression de ne jamais avoir bu. À l’idée de boire aujourd’hui, c’est comme si on me tendait un pétard au milieu d’une soirée, que j’avais envie de dire oui sans pour autant savoir ce que ça déclencherait pas la suite

L’alcool au quotidien, le basculement
Au cours de ces quatre mois sans boire d’alcool, j’ai beaucoup réfléchi et je pense simplement qu’on ne remet pas assez en question notre rapport à la boisson, parce que sa consommation est normalisée.Dans nombre de séries télévisées, par exemple, on ne compte plus les héros et héroïnes qui se posent chez eux après une journée de boulot, qui ouvrent une bouteille de vin et qui boivent, seuls. Souvenez-vous de « The Good Wife », par exemple, elle a toujours son verre de rouge à la main et tout le monde trouve ça normal. J’ai décidé de réagir aussi le jour où j’ai compris que j’étais en train de devenir cette personne-là, cette fille qui rentrait chez elle avec l’envie éventuellement de boire un verre de rouge, puis deux, puis trois. Quand ton rapport avec l’alcool devient quotidien, c’est là que tu bascules. J’aurais très bien pu basculer.J’ai décidé d’en parler autour de moi, sur les réseaux sociaux, et de témoigner ici parce que je trouve ça important de proposer aux gens de réfléchir. Aujourd’hui, tout le monde sait que je ne bois plus. Bon, ça n’empêche pas certains de me demander d’apporter le vin pour un dîner et honnêtement, c’est plutôt chiant. Mais le principal, ce sont les réactions de ceux qui disent « j’aimerais bien faire comme toi ». Voir qu’ils cogitent, c’est cool.

Propos recueillis par Henri Rouillier, pour le « Nouvelobs »