A l’hôpital après trois tonneaux : l’alcool a emporté ma fierté
Je me suis réveillé à l’hôpital. La veille, c’était une soirée comme une autre, une soirée comme on en passe pendant la saison.Nous rentrons, chauds comme la braise
Nous prenons l’apéro. Avec un collègue, nous rejoignons des amis dans un bar, après avoir bien commencé la soirée, en s’échauffant à deux. Il nous prend une pinte de Picon bière chacun. Peu à peu, les autres clients s’en vont. Mais lancés comme nous sommes, je paie deux autres pintes, que nous partageons à quatre.
Puis nous rentrons, chauds comme la braise. Je démarre la voiture, j’enclenche la marche arrière, puis la première. Premier virage et les limitations de vitesse sont déjà loin derrière nous, dans ce petit bled où tout le monde dort.
Deuxième virage.
Le bord de la route arrive trop vite. Deux pneus décollent. Des étincelles. Mon collègue qui sort par la fenêtre brisée de la voiture – posée sur le flanc gauche – en me marchant dessus.
Je me hisse à mon tour. Autour, il y a déjà quatre autres personnes. De la fumée. Mon camarade s’allonge et appelle les pompiers, qui préviennent la gendarmerie. Deux des inconnus installent les triangles de signalisation. Un autre me fait la courte échelle pour que je puisse retourner dans l’habitacle, afin de couper le contact de ma voiture, dont le moteur tourne toujours.
J’utilise mon téléphone pour éclairer l’intérieur, mais celui-ci glisse, et je dois m’enfoncer encore plus pour le récupérer.
Un véhicule de secours. Un deuxième. Une camionnette de gendarmerie.
On finit dans l’ambulance. Je souffle dans l’alcootest. Je suis positif.
A notre arrivée à l’hôpital, j’ai juste mal au pouce. De son côté, mon collègue a une légère douleur aux cervicales. On s’occupe de nous, puis les gendarmes me font la prise de sang de rigueur.
Nous discutons un peu. Ils s’en vont avant que les médecins ne viennent nous annoncer qu’ils vont nous garder en observation pour la nuit. Juste avant de nous emmener dans nos chambres, ils nous font une nouvelle prise de sang.
Mon ami et moi discutons un peu autour de son lit, puis nous nous forçons à nous coucher.
J’ai l’impression d’avoir tout perdu
Je me suis réveillé à l’hôpital, et nos blessures étaient finalement assez bénignes. En tout cas pour deux corps qui ont fait au moins trois tonneaux et parcouru une centaine de mètres dans un tas de métal incontrôlable.
Un médecin est arrivé. Il a contrôlé ma tension, ma saturation en oxygène, mon pouls. Et m’a annoncé mon alcoolémie la veille : 1,3 g/L [le maximum légal en France est de 0,5 g/L, ndlr].
Je me suis réveillé à l’hôpital et j’ai l’impression d’avoir tout perdu.
J’ai 20 ans et en quelques secondes, j’ai détruit beaucoup de choses. Ma voiture offerte par ma famille. Le permis qui va avec. Mon tout frais permis moto. Mon corps endolori par une côte cassée. Ma saison de travail, incertaine à cause de mon pouce. Le peu d’argent que devait me rapporter ce travail, qui va passer dans les dégâts et amendes. Ma fierté.
Et comme un ordinateur qui vient de planter, je « reboote ». Là, je suis en plein calcul pour repartir sur un système stable. Une chose me revient régulièrement en tête, comme une étourderie, une faute d’inattention.
L’alcool.
Cette substance mortelle fait partie de mon quotidien depuis un bon moment déjà. Ça fait dix ans qu’on se connait, quinze que je vois qui elle est. J’en ai consommé en excès pendant plus d’un an et demi, et, arrivé à saturation, je m’en étais détaché plus d’un mois.
J’en ai repris, avec modération d’abord, ensuite je suis retombé dans une consommation abusive – mes « caisses » ne pouvaient plus être qualifiées de ponctuelles.
Trous noirs de plusieurs heures – de quoi n’avoir aucun souvenir d’une sortie en boîte par exemple – haleine immonde et dégoût des personnes ivres. Pas suffisant pour que je comprenne l’évidence : l’alcool est, comme la cigarette au passage, un produit que je dois bannir de ma vie.
Je ne pense pas que j’arriverais à ne plus consommer d’alcool tout, comme je ne serais jamais capable de connaitre avec certitude mon état.
Je sais qu’après un certain temps la rougeur de cette claque sera dissipée, et que l’emportera alors la conviction sociale qu’une bière ne fera pas de mal. Elle sera pourtant la première d’une longue série,
Je me suis réveillé à l’hôpital avec une nouvelle chance. Et j’ai peur de la gâcher.
Patrick, Internaute. (Lu sur Rue 89)