Alcool : « Sur l’ivresse, au moins, on a obtenu l’égalité » (Marie, 23 ans, dans Grazia)
« Toutes alcoolos ? ». C’est en Une d’un jeune magazine assez en vogue chez les adolescentes voire chez les jeunes femmes. Avec une enquête sur « l’inquiétant boom des comas éthyliques chez les filles ». Grazia est-il lu en haut lieu ? Sinon il faudra songer à abonner le ministère de la Santé.
« Toutes alcoolos ? ».
Certes pas, mais on s’en rapproche. Trois pages symptomatiques d’un phénomène qui crève les yeux et que les sociologues décriront, peut-être, dans quelques décennies. A la question « les femmes boivent-elles plus qu’avant ? » il ne fait aucun doute qu’une majorité d’hommes d’un certain âge répondraient par l’affirmative. Question idiote bien sûr. Quelles « femmes » ? Quel « avant » ? De quel « plus » parle-t-on ? Mais il y a quelques faits objectifs. La prévalence féminine croissante sur les terrasses des débits de boissons devant des verres (souvent de bières de forts titrages). Les témoignages recueillis pas les élèves de l’EHESP dans le cadre du MIP 2012 sur « Rennes et l’alcool ».
Où encore les déclarations du Pr Michel Reynaud, spécialiste d’alcoologie (hôpital Paul Brousse, Villejuif) à Grazia : « Les gros alcooliers ont ciblé leur pub vers le marché féminin à l’instar des cigarettiers vers la fin des années 1960 ». Et les mêmes causes produisant généralement les mêmes effets, la même situation sanitaire délétère sous couvert d’un nouveau droit à conquérir. Nous avons conquis bien des droits. Dont celui des assuétudes.
Marie, 23 ans, publicitaire stagiaire , ne dit rien d’autre à Grazia : « J’ai un rapport réaliste avec l’alcool, comme ceux de ma génération. On agit en toute connaissance de cause. » La beauté et la candeur de la jeunesse en quelques mots. Marie, toujours, à qui l’on demande s’il est « socialement admis pour une fille de s’enivrer » : » Je ne me pose même pas la question, ça ne choque plus personne. Sur l’ivresse au moins, on a obtenu l’égalité. » Que veut dire cet au moins, Marie ?
Vomir sur l’oreiller d’un pote
Marie, quand t’es-tu (trop) « lâchée » ? « Quand j’ai vomi sur l’oreiller d’un pote. Il m’en veut toujours ». Marie, la chose qui pourrait te faire arrêter ? « Si on découvrait un truc qui avait le même effet que l’alcool, sans les inconvénients. La défonce sans la gueule de bois ». Charmante adolescence qui ne sait pas encore qu’elle met ses pas dans les pas de ses aînés. Grazia qui fait peut-être de la politique sans le savoir. L’hebdomadaire cite aussi le « rapport du 22 mars » présenté par le Pr Reynaud aux dernières journées de la Société française d’alcoologie.
Document consacré à une approche du poids de la morbidité sur le tissu hospitalier français. Document (réalisé grâce notamment au soutien financier de la société Lundbeck 1) dont nous avons évoqué l’existence et le contenu sur ce blog. Document qui, parce qu’il a été médiatisé a suscité quelques aigreurs dans quelques bureaux d’une direction ministérielle. Document qui n’est plus malheureusement plus disponible sur le site de la Société française d’alcoologie. Pour notre part nous l’avons à nouveau cité, après l’avoir fait sur ce blog, sur Slate.fr
Grazia : « 470 000 personnes par an sont conduites aux urgences pour troubles liés à l’alcool selon un rapport de la Société française d’alcoologie publié le 22 mars. Le chiffre effraye les autorités sanitaires. Sa progression aussi : + 30 % en trois ans. Pire les séjours courts de moins de deux jours liés à l’alcool, le temps dé dégriser on tait un bond de 80%. Soit environ 181 000 hospitalisations pour intoxication aiguës comme les comas éthyliques en 2011. » Pourquoi ne pas le dire, le publier, tenter de le comprendre et d’agir au mieux et autant que faire se peut. On peut aussi, bien évidemment et collectivement, fermer les yeux
On ne réfléchit pas : on arrête et c’est tout.
On peut aussi écouter Morgane, 29 ans serveuse. Elle aussi entretient « un rapport sain » avec l’alcool. « Même si je bois plus de trois fois par semaine des litres de bière et de rhum » ; car Morgane est « quelqu’un d’excessif ». « Pour éviter les dégâts à long terme, je me fais des périodes de detox de deux-trois semaines ». Elle se souvient « d’avoir pris cher » avec « un mélange eau-de-vie/ whisky ». Elle ne sait plus quand elle s’est (trop) lâchée. Et pour cause : elle est une « habituée des black-out ». Ce sont les autres qui lui en parlent le lendemain. Déjà. La chose qui ferait arrêter Morgane ? Quand elle était enceinte elle ne buvait pas du tout ? Idem pendant l’allaitement. Quand on est mère on n’a aucun doute dit-elle. On ne réfléchit même pas une seconde : on arrête et c’est tout. »
Morgane veut sans doute dire que c’était lorsqu’elle était enceinte qu’elle avait cessé de s’alcooliser. Et que c’est lorsqu’une femme est enceinte qu’elle « arrête et c’est tout ». Après, bien sûr, c’est toujours un peu plus compliqué. Surtout quand on a auparavant, « sur l’ivresse », obtenu l’égalité. Ivresse pour tous ?
1 Les laboratoires danois Lundbeck viennent d’obtenir une autorisation européenne de mise sur le marché pour le nalmefène qui sera commercialisé sous le nom de marque Selincro. Son indication est une première : « réduire la consommation d’alcool chez les patients adultes ayant une dépendance à l’alcool avec une consommation d’alcool à risque élevé ne présentant pas de symptômes physiques de sevrage et ne nécessitant pas un sevrage immédiat ». Attention : « le traitement par Selincro doit être prescrit en association avec un suivi psychosocial continu axé sur l’observance thérapeutique et la réduction de la consommation d’alcool ». La fin du dogme de l’abstinence en somme.
Et, outre le prix et le remboursement, une question : ce médicament pourra-t-il être prescrit par les généralistes ou sera-t-il réservé à certains spécialistes ? Le suivi psychosocial devra-t-il être fait par le prescripteur ou pourra-t-il être assuré par des psychologues du service public hospitalier ?
Pour sa part la filiale française de Lundbeck entame les négociations avec les pouvoirs publics (Ansm, commission « de transparence », comité économique des produits de santé). Une commercialisation pourrait être annoncée dans les premiers mois de l’année 2014. Notons également, sur le front voisin sinon concurrent du baclofène, la publication de l’ouvrage du Dr Renaud de Beaurepaire aux éditions Albin Michel. Un ouvrage essentiel pour qui se trame en France dans les coulisses et sur la scène du traitement de la déepndance aux boissons alcooliques. Et de la « guérison » de l’alcoolisme. Nous y reviendrons.
Exctrait du Blog du Dr NAU