Baclofène : la colère des médecins monte d’un cran
Des spécialistes contestent la décision de l’Agence du médicament de baisser la dose maximale du traitement contre l’alcoolisme.
Le baclofène sera-t-il le sparadrap collé aux vacances estivales des autorités sanitaires? À voir la colère des médecins monter en grade, oui.
De quoi s’agit-il? Mardi, l’Agence du médicament (ANSM) prenait la décision de réduire la dose autorisée de baclofène, un médicament initialement prescrit contre les spasmes musculaires de certaines maladies neurologiques mais aussi efficace pour réduire la consommation d’alcool. Or le baclofène ne bénéficie pas d’une autorisation de mise sur le marché contre l’alcoolisme. Le 14 mars 2014, l’ANSM lui avait donné une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) pour 300 mg maximum par jour. L’ANSM a remis en cause cette décision en abaissant la dose à 80 mg.
C’est ce choix que contestent vivement des médecins et, mardi, ils ont adressé une tribune à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Elle est signée par douze spécialistes dont Philip Gorwood et Bernard Granger, professeurs de psychiatrie à l’université Paris-Descartes, mais aussi Michel Reynaud, professeur émérite de psychiatrie et d’addictologie à Paris Sud, Benjamin Rolland, maître de» conférences en addictologie à l’université Lyon 1, et Didier Sicard, professeur émérite de médecine interne à l’université Paris-Descartes, président honoraire du Comité consultatif national d’éthique, ainsi que Nicolas Simon, professeur de pharmacologie à l’université Aix-Marseille.
ll ne s’agit donc pas que de fervents défenseurs du baclofène qui se sont unis face à une décision qu’ils jugent inique. «La décision de l’ANSM, faite sans concertation avec les spécialistes de terrain, ne nous paraît pas adaptée: elle est source d’une perte de chance pour de nombreux patients», écrivent-ils. L’option d’une riposte par voie judiciaire est actuellement à l’étude. Nicolas Simon critique une «décision à l’emporte-pièce» de l’ANSM, «pas bien orchestrée» et ne s’expliquant «que par la trouille». Celle de se voir reprocher de n’être pas assez précautionneux. Michel Reynaud à présent. Il n’est pas un militant du baclofène et pourtant, il relève que «devant la faiblesse de notre arsenal thérapeutique dans l’alcoolodépendance, nous n’avons pas les moyens de nous passer d’un médicament efficace». Selon lui, «il faut mettre un coup d’arrêt à cette mesure qui telle qu’elle est prise est dangereuse pour certains patients». Il note cependant qu’au-delà de 80 mg, «il ne paraît pas raisonnable d’autoriser une libre prescription sans limites et sans contrôles ni suivi rigoureux».
«Pas de raison de douter»
Sollicitée par Le Figaro, l’ANSM justifie sa décision: «À partir du moment où l’agence a connaissance de nouveaux risques, il relève de sa responsabilité de prendre les décisions visant à garantir la sécurité des patients.» Le ministère de la Santé indique de son côté ne «pas avoir de raison de douter de cette décision».
Quelle urgence y avait-il à ordonner cette réduction de dose en plein été? Comment les patients au-delà de 80 mg vont-ils être sevrés quand le pharmacien refusera de leur délivrer leur dosage habituel? Comment adapter le traitement alors que les médecins sont en vacances? L’ANSM aura-t-elle à répondre des rechutes des patients?
Le Figaro, Par Anne Jouan