«Chère Agnès Buzyn, contre le fléau du tabagisme, encore un effort!»
Un an déjà. Voilà bientôt un an que vous avez pris la place de Marisol Touraine à la tête de ce ministère-phare qui est en charge de la santé publique et de la protection sociale. Une petite année qui vous a vu, très prudemment, entrer dans les espaces médiatiques et faire vos premières armes politiques. Un parcours chahuté face à un monde hospitalier en crise, des soignants prêts à entrer en guerre contre le casse-tête économique qui les épuise et la perte de sens que vous et votre gouvernement leur imposez. Un parcours marqué, dernièrement, par le camouflet d’Emmanuel Macron vous désavouant publiquement sur la question du vin et de la dépendance à l’alcool.
Bientôt un an donc, après la première lettre que nous vous avions adressée, que nous vous attendons sur l’autre sujet politique majeur de santé publique: celui de la lutte engagée par le pouvoir exécutif contre le fléau du tabagisme.
On connaît l’essentiel du sujet: une addiction massive, de substantielles recettes fiscales, 80.000 décès prématurés chaque année. «Première cause de mort évitable», comme se plaisait à le répéter Marisol Touraine.
Chacun sait désormais que cette dernière a totalement échoué alors même qu’elle avait été sommée par François Hollande, en février 2014, de bâtir un Programme national de réduction du tabagisme. Quatre ans plus tard, rien n’a été réduit, bien au contraire. Avec plus de 30% de fumeurs chez les adolescents et les adultes, la France est toujours dans une situation sanitaire catastrophique, au dernier rang européen.
Vous connaissez tout du dossier et de ses arcanes, comme en témoigne la tribune que vous avez publiée dans Le Monde en mai 2013:
«Les chiffres parlent d’eux-mêmes: 30% des jeunes de 17 ans sont des fumeurs quotidiens et seront donc particulièrement dépendants au tabac à l’âge adulte; le nombre de décès des femmes par cancer du poumon va dépasser celui du cancer du sein; et plus d’un chômeur sur deux fume au détriment de son espérance de vie, creusant ainsi les inégalités. Les rapports parlementaires ou de la Cour des comptes soulignent notre manque de cohérence et de stratégie globale en matière de lutte contre le tabagisme. Nous n’avons pas tenu nos engagements internationaux d’atteindre moins de 20% de fumeurs. Il n’y a pourtant aucune fatalité liée au tabagisme. Les États-Unis, grand pays producteur de tabac, sont passés sous la barre symbolique des 20%, les Anglais en sont proches à 21% et les Australiens sont à 16%.»
«Mais culpabiliser les fumeurs n’est pas l’objectif. Le tabac est une drogue et le tabagisme doit donc être traité comme tel: les fumeurs doivent être aidés médicalement par un accompagnement au sevrage, la prévention doit s’adresser prioritairement aux jeunes, principale cible de l’industrie du tabac […] Une politique volontariste est plus que jamais de nouveau nécessaire. […] Il est également essentiel que l’aide au sevrage tabagique soit mieux remboursée. Mais surtout, les lois doivent être pleinement appliquées, en particulier celle de 2009 promulguant l’interdiction de la vente aux mineurs. […] Priorité à la prévention, protection de la jeunesse, hausse drastique des prix, paquets neutres, respect des lois, et réorganisation de la vente du tabac: nous devons repenser en profondeur notre système de lutte contre le tabagisme face à cette bombe à retardement sanitaire. La médecine est à court d’arguments, le temps est à la volonté politique.»
Vous présidiez, alors, l’Institut national du cancer et n’imaginiez pas devoir, cinq ans plus tard, devoir rendre des comptes quant à votre action contre cette «bombe à retardement». Depuis un an, vous n’avez pas touché à la question de l’interdiction de la vente aux mineurs par des buralistes –avec lesquels vous êtes pourtant en contact régulier.
Seule initiative d’envergure du précédent gouvernement, l’introduction du «paquet neutre» ne s’est traduite par aucun résultat concret. La «hausse drastique» des prix du tabac que vous réclamiez s’est transformée, du fait de la toute-puissance de Bercy, en une hausse progressive échelonnée jusqu’en 2020. Vous savez pourtant, comme tous les spécialistes du sujet, que seules des hausses massives et très rapprochées ont démontré leur efficacité. Vous avez donc adapté votre discours en expliquant que cet échelonnement permettrait aux fumeurs de programmer leur abandon du tabac –et ce alors même que cette addiction est l’une des plus pernicieuses qui soit.
Enfin un accès égalitaire aux subtsituts nicotiniques
Il faut aujourd’hui vous faire crédit d’une nouvelle mesure: la programmation du remboursement intégral des substituts nicotiniques, médicaments qui ont démontré une certaine efficacité dans l’aide au sevrage tabagique.
Plus précisément, un système de prise en charge partielle (à hauteur de cinquante euros par an) des substituts nicotiniques prescrits par un médecin avait été mis en place par l’assurance maladie en février 2007. En 2015, son montant avait été porté à 150 euros, pour certains patients jugés «prioritaires» (femmes enceintes, jeunes de 20 à 30 ans, patients bénéficiant de la CMU complémentaire et ceux en affection longue durée du fait d’un cancer). En novembre 2016, ce forfait avait été élargi à l’ensemble des fumeurs. Pour autant, l’avance des frais et le reste du coût restaient à leur charge.
Vous reconnaissez donc, enfin, l’erreur majeure de vos prédécesseurs:
«L’un des freins majeurs actuel du recours aux traitements de sevrage est la nécessité de faire systématiquement l’avance de frais dans le cadre du forfait», explique votre ministère.
Votre objectif est de «développer l’accessibilité aux traitements d’aide à l’arrêt tabagique pour l’ensemble des fumeurs souhaitant arrêter de fumer, et en particulier les plus défavorisés.»
Vous précisez:
«Il s’agit aujourd’hui de franchir une nouvelle phase dans le soutien au sevrage tabagique: passer du forfait d’aide au sevrage de 150 euros par an et par assuré à un remboursement classique comme pour tous les médicaments remboursables. Cela permet à la fois de lever les freins liés à l’avance de frais systématique et d’avoir le même tarif pour un produit sur tout le territoire, tout en permettant une durée de traitement adaptée à la dépendance.»
Dont acte. Ce mouvement sera toutefois progressif… car il implique une démarche des firmes pharmaceutiques qui commercialisent ces médicaments du sevrage.
Il faut écouter les promoteurs de la cigarette électronique
Et maintenant? Présentant en octobre dernier le dispositif du prochain «Mois sans tabac», vous avez dit souhaiter«que toute la société s’engage pour faire évoluer le regard trop souvent complaisant à l’égard de la cigarette.» Et d’ajouter, selon le Quotidien du Médecin, que votre objectif était fixé: 500.000 fumeurs en moins chaque année, pour arriver sous la barre des 23% de fumeurs d’ici la fin du quinquennat.
Une chose est certaine. Vous n’atteindrez pas ce chiffre sans jouer d’un autre levier majeur de lutte contre le tabagisme: la cigarette électronique et l’apport majeur que constitue le vapotage dans la réduction des risques. Les choix politiques effectués en Angleterre et en Islande fournissent, de ce point de vue, des démonstrations exemplaires. Or, pour l’heure, vous restez enfermée dans le même étrange déni que celui affiché avec morgue par Marisol Touraine durant les cinq années où elle occupa les fonctions qui sont les vôtres depuis un an. Comme elle, vous refusez obstinément de rencontrer les militants de la cigarette électronique. Pourquoi?
«En dépit de nos différentes demandes de rencontre, ni Agnès Buzyn ni ses services ne nous ont jusqu’à présent répondu. Et ce alors même que les représentant des buralistes sont désormais régulièrement dans le bureau ministériel», a déclaré à Slate.fr Sébastien Béziau, vice-président de #sovape. Il vous faut, Mme la ministre, écouter ces anciens dépendants du tabac devenus militants de la révolution des «volutes».
«Nous dénonçons une position officielle inappropriée, un déni, des injonctions contradictoires, le refus d’admettre que le sevrage tabagique est possible grâce à la cigarette électronique alors que d’autres pays, comme le Royaume-Uni, la considère comme une des meilleures solutions, au point d’en faire la publicité pour inciter les fumeurs à “switcher”.
En France, trop de fumeurs, acteurs de santé, décideurs et opinion publique restent “sceptiques”, alors que la “performance” et les réductions des risques sont largement documentés. Nous dénonçons les interdictions de propagande et de publicité, au même niveau que le tabac, alors que la vape est son meilleur ennemi. Cette politique est totalement infondée d’un point de vue sanitaire (des centaines d’études le démontrent). Elle est fondée sur le fantasme de l’existence chez les jeunes d’on ne sait quel “effet passerelle” vers le tabac, largement contredit par de nombreuses études également.
Sur le remboursement intégral des substituts nicotiniques, nous ne pouvons que nous réjouir car cela adresse un message fort pour la lutte contre le tabagisme, et permet de dédiaboliser la nicotine. C’est une vieille demande des professionnels de santé. Aujourd’hui nous ne pouvons qu’espérer qu’Agnès Buzyn s’intéresse enfin à la vape, dont la nicotine est une des composantes essentielles. C’est la suite logique, exactement le chemin qui a été pris au Royaume-Uni. Il faut, de manière urgente, proposer aux fumeurs toutes les solutions pour qu’il puissent sortir de l’enfer du tabagisme.»
Chère Agnès Buzyn, vous présenterez à la presse, dans quelques jours, le nouveau Programme national de réduction du tabagisme. Nous verrons, alors, si sortant de ce coupable déni, vous vous donnez pleinement les chances de réussir pour réduire l’ampleur de ce fléau. Réussir là où Marisol Touraine a, dans son enfermement, tragiquement échoué.
SLATE.FR Jean-Yves Nau — — mis à jour le 27 mars 2018 à 11h15