« Parler de mon alcoolisme m’a libéré »
Depuis quarante ans, les alcooliques anonymes se retrouvent pour échanger sur leurs expériences. Chaque mercredi, au centre pénitentiaire de Caen, ils trouvent un lieu de libre expression.
Témoignages
Cyrille (1), incarcéré depuis cinq ans
J’ai été condamné à 8 ans pour des faits liés à l’alcool. Mon père était agriculteur. Lorsqu’il faisait des crêpes, il me versait du cidre. J’avais 7 ans. À 14 ans, ça a été mon premier apéro avec lui. Après, l’alcool s’est imprégné en moi. Il me faillait 1 l de jaune le samedi, 1 l le dimanche. Je devenais agressif. Ce n’est pas évident de garder une concubine quand on picole. Ma femme est partie, avec mes deux enfants.Ça fait un an que je suis dans le groupe. Je suis content car ça fait ma 6e permission, six fois qu’il y a de l’alcool sur la table, six fois que je n’y touche pas. Je ne veux plus y toucher car je sais comment je suis quand je suis alcoolisé : une vraie saloperie. L’abstinence m’a fait devenir humain. »
Gilles, alcoolique abstinent
J’ai bu ma première goutte d’alcool, je n’avais pas 4 ans. Mon grand-père m’emmenait dans la cave pour un petit fond de rouge, comme ça se faisait beaucoup dans les campagnes. Il me disait : « Bois, tu seras un homme ». J’aimais bien, mais je n’ai jamais été ivre.
L’une des catastrophes de ma vie, ça a été la mobylette : la liberté, les bals, les amis. J’ai commencé à consommer, comme tout le monde. Trop certains soirs. Mais c’était la vie. À 20 ans, j’étais à l’armée, chez les paras. Un soir, on a trop bu. Le lendemain, j’ai fait une hépatite due à l’alcool. Je devais être témoin au mariage de ma soeur, je n’ai pas pu m’y rendre. Puis j’ai commencé ma vie professionnelle à Paris. Je me suis dit que j’allais changer de vie. Mais il y avait un bon bar et des amis. Je faisais un peu de sport, ça me préservait un peu. Malgré mon rapport excessif à l’alcool, j’ai rencontré quelqu’un avec qui j’ai eu des enfants.
Un jour, vers 40 ans, ma femme m’a conseillé de parler avec quelqu’un qui avait arrêté de boire. Moi, je ne me sentais pas alcoolique. Au bout d’une semaine, je me suis décidé. Il m’a parlé de lui, c’était comme s’il parlait de moi.
J’ai intégré un groupe, j’étais bien, pas jugé. Le 4e soir d’abstinence, je me suis dit : « Ça fait combien de soirs que tu n’avais pas passés sans alcool ? » Et là, j’étais libéré. Libéré de l’alcool, mais aussi de la clé à molette que je devais aller chercher chaque soir. J’ai retrouvé mon honnêteté. Je me suis rendu compte du mal que j’avais pu faire à ma femme, à mes enfants, par mon égoïsme ou en n’étant pas là. »
Martin (1), incarcéré depuis quatre ans
Ce sont des faits d’alcoolisme qui m’ont mené en prison. Depuis, je me suis remis en question. Grâce aux séances du groupe que je suis depuis deux ans, j’ai trouvé des réponses. Pas toutes.
Maintenant, il faut trouver le pourquoi : Qu’est-ce qui m’a amené là ? Il faut avoir la volonté de s’en sortir. J’ai pris mes responsabilités. Je ne ressens plus ce besoin de boire. Parler de mon alcoolisme m’a libéré. J’ai trouvé ma liberté intérieure. Aujourd’hui, il ne reste plus que les murs de la prison. Une fois dehors, j’espère pouvoir aider d’autres gens. »
Renaud TOUSSAINT.
(1) prénoms d’emprunt.