Tabac, alcool : les ruses des industriels pour séduire les jeunes
Leurs techniques de marketing, toujours plus agressives, inquiètent la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, qui va se pencher sur le sujet.
La cigarette tue, rend malade, ruine. Depuis le cowboy de Marlboro, les publicitaires doivent redoubler de ruse pour vanter les qualités d’un produit qui n’en a aucune. Leur cible : de nouveaux consommateurs, toujours plus jeunes. Désormais, les producteurs d’alcool s’inspirent de leurs techniques marketing, ultra-agressives. L’enjeu de santé publique est de taille : à 17 ans, 60% des ados ont déjà été ivres et un sur trois fume tous les jours.
Bien trop pour la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), qui annonçait mardi 4 mars par la voix de sa présidente Danièle Jourdain-Menninger la création d’un groupe de travail sur la promotion de l’alcool et des produits du tabac.
L’occasion, pour Karine Gallopel-Morvan, chercheuse à l’Ecole des hautes études en santé publique, de décrypter les stratégies fomentées par les industriels. Premier constat : leurs moyens sont presque sans limite. Ainsi, les 35 milliards de dollars de bénéfice des six plus grosses compagnies de tabac sont équivalents aux bénéfices cumulés par McDonald’s, Microsoft et Coca-Cola !
Marketing digital sur Facebook
Qu’importe si la loi Evin de 1991 interdit toute publicité en faveur du tabac et limite l’exposition des jeunes à la promo pour les boissons alcoolisées : il faut occuper au maximum le terrain. Au bon vieux sponsoring d’événements sportifs ou culturels (ex : la marque de bière Budweiser associée à la Fifa, Kronenbourg et Coreff partenaires du festival des Vieilles Charrues) s’ajoute désormais un marketing d’un nouveau type : interactif.
Des codes « QR » permettant d’accéder à une pub internet en flashant un logo avec son smartphone sont ainsi imprimés sur des paquets de cigarettes ou des verres de bière. Sur Facebook, le matraquage bat son plein : la page de Carlsberg baptisée « Unbottle yourself » est ainsi « likée » par plus de 76.000 personnes. Desperados n’hésite pas à s’inviter sur le réseau social « Skyblog », pourtant essentiellement fréquenté par des ados.
Le paquet, ce « vendeur muet »
Quant à l’emballage, ce « vendeur muet », il joue un rôle de premier plan, surtout dans les pays qui interdisent la pub sur tous les autres supports. Fini le paquet imitation jean des cigarettes Zack dans les années 1970. Aujourd’hui, celui de Marlboro copie le design des smartphones, avec sa pastille qui rappelle l’objectif de l’appareil.
Les industriels vont jusqu’à noyauter certaines campagnes de prévention contre le tabac ou l’alcool à destination des moins de 18 ans, en les finançant. Pour Karine Gallopel-Morvan, aucun doute, « ces campagnes entretiennent un attrait pour ces produits, présentés comme le fruit interdit ».
A côté de ce harcèlement, les mesures gouvernementales, souvent limitées à des tracts, font pâle figure. Une seule solution, estime la chercheuse : se mettre au niveau des géants du tabac et de l’alcool, en employant les mêmes codes qu’eux et en investissant les réseaux sociaux.
NouvelObs 04/03/2014