Témoignage : « On vit depuis trop longtemps dans le silence »
Ces quatre femmes, toutes proches de malades alcooliques, ont décidé de prendre la parole pour défendre leur cause.
Le témoignage
« Nous vivons dans la solitude, avec le sentiment de ne pas être à la hauteur pour sauver notre famille et les apparences. On vit l’enfer », confie Louise (1), membre d’AI-Anon depuis quatre ans. Cette association (lire ci-dessous) aide, depuis 1962 en France, l’entourage de malades alcooliques. Conjoints, parents, enfants, amis… tous sont touchés.
« J’ai rejoint Al-Anon pour mon mari, poursuit Louise. Ça m’a fait un bien fou. Nous, les proches, nous n’avons pas de numéro d’urgence spécifique. On ne sait pas vers qui se tourner. » Comme elle, Marie, Sylvie et Véronique ont décidé d’informer le grand public et de faire de leur combat un enjeu de santé publique.
Une violence sournoise
« Au début, c’était festif, raconte Marie. Et puis, au bout d’un certain temps, ça ne l’était plus. Mon mari allait là où il savait qu’il pouvait boire. Il fuyait ses problèmes personnels. » Un mal qui touche tous les âges et tous les milieux.« Je n’ai rien vu venir, admet Louise. Dans ma famille, il n’y a pas de problèmes, d’alcool. Peu à peu, j’ai remarqué des changements de comportement. Il est passé d’un père proche de ses enfants à quelqu’un de distant. J’ai commencé à trouver des bouteilles… »
Si le sujet demeure tabou selon elles, c’est aussi parce que les limites de la violence sont floues. « Il n’y a pas forcément de coups, précise Louise. C’est une violence plus sournoise. L’an dernier, je voulais fêter nos 30 ans de mariage. Avec un mari qui ne tient pas la route, c’est impossible. J’ai pris trois somnifères et j’ai laissé un mot. Un appel au secours… » « Il y a aussi la violence verbale. Ils savent piquer où ça fait mal, ajoute Sylvie. C’est un défaut de la maladie. »
Les répercussions sont nombreuses : vie sociale en déclin, enfants en échec scolaire ou traumatisés, familles éclatées, chômage… Le tout souvent accompagné d’un sentiment de honte. « On nous demande parfois pourquoi on ne part pas. Mais mon conjoint, c’est mon amoureux, confie Louise. On se sent aussi responsable. Il boit et puis il va se coucher. Mais si je ne suis pas là, qu’est-ce qu’il fait ? » « Et puis, il y a nos enfants, lâche Sylvie. Si je pars, ça retombe sur eux. » À cela s’ajoute la dépendance financière de certains proches contraints de rester.
Grâce aux groupes familiaux Al-Anon, ces quatre femmes, comme beaucoup d’autres, ont trouvé une oreille attentive et bienveillante. « On m’a dit qu’il fallait que je pense à moi, que ce n’était pas à moi de le sauver, raconte Marie. Ça fait du bien de lâcher prise. » Toutes les quatre luttent pour que des mesures soient prises. Parmi leurs propositions : un numéro national et gratuit ainsi qu’un fascicule à destination des proches, avec des contacts et informations utiles.
Émilie GINESTOU. (Ouest-France 20/02/2018)
L’association Al-Anon est née aux États-Unis en 1951 (en France depuis 1962). Son nom provient des premières syllabes d’A/cooliques anonymes et ne concerne que l’entourage des malades, que ces derniers boivent encore ou non. Il existe aussi une branche nommée Alateen pour les adolescents